Chapitre 1
Vivants
Prostré derrière la fenêtre, Loïc fixait les phares des voitures dans la nuit formant une procession de chenilles luminescentes. Il voyait ce cortège de véhicules en tous genres comme une vie qui défile. Leur vie, à Nathan et lui-même. Eux qui pensaient vieillir ensemble, qui s’imaginaient en vieux pépés se foutant des coups de cannes sur la tronche après s’être contredits pour des broutilles.
Nathan avait beau lui répéter, du moins quand il était encore totalement lucide, que la vie était merveilleuse, lorsque la folie rôde tout autour c’est difficile de la trouver aussi extraordinaire. Surtout lorsqu’elle risque de lâcher celui qu’on aime par-dessus tout d’un instant à l’autre. Malgré les rires qu’elle engendre, les situations cocasses et absurdes qu’ils peuvent occasionner…
Loïc fit un mini constat de ce parcours du combattant sans même entendre le brouhaha du trafic et s’estima jusqu’à ce jour bien peu courageux dans cette histoire. Il se dit que Nathan lui avait donné bien plus de force que lui ne lui en octroya jusqu’ici et il s’en voulait pour ça. Ce n’était pas lui le malade, mais Nathan. C’était à lui de remonter le moral du condamné, pas le contraire, songea-t-il, en ravalant sa salive difficilement alors qu’un motard faisait une queue de poisson à un automobiliste.
Il remonta le col de son sweat, des frissons parcourant tous ses membres et lui octroyant des palpitations ; il se laissa porter par le souvenir de ces soirées endiablées qu’ils partagèrent tous les deux. Nathan était si vivant, si fringant et charismatique. Il adorait danser et l’amena bien malgré lui dans des boîtes pour s’éclater jusqu’à l’aube. Lorsqu’il était sur une piste de dance, Nathan apparaissait tel un ange évanescent, beau et solaire sous le feu des sunlights kaléidoscopiques ; invulnérable, il donnait l’étrange impression de faire partie d’un autre monde, songea Loïc, en se revoyant tiré par la main par ce doux dingue pour l’entrainer dans l’arène, des décibels assourdissants les faisant sursauter, voire flotter sans le moindre effort. Nathan pouvait se perdre la nuit dans ces musiques que Loïc n’appréciait pas forcément. Du moins, pas autant que lui. Mais il ne regretta jamais de rentrer au petit matin, les oreilles sifflantes et le cerveau imbibé d’alcool ou d’une substance que Nathan se plaisait à lui faire prendre sans son consentement. Ces nuits blanches leur permirent d’apprécier les croissants chauds du boulanger offrant ses bonnes odeurs dans tout le quartier, afin de redescendre gentiment et avec gourmandise dans le monde réel.
Nathan brûlait la vie par les deux bouts et c’est tout ce qui lui importait. Loïc ne trouva en ses excès aucune intention malsaine ou une quelconque prémices à ce qui allait tomber sur la tête de son compagnon. Il faisait confiance en la vie autant que Nathan lui faisait confiance. Ils étaient des vivants. Des vivants heureux et toute cette tranche de vie partagée avec ce doux dingue ne leur laissèrent aucun arrière-goût en bouche. Pas même un peu d’amertume, Loïc, se laissant porter par cet amant exubérant et profitant de son charisme lorsqu’ils rentraient de temps à autre à trois à la maison.
Loïc se teint les reins en revenant dans son appartement, il se revit deux jours avant à l’hosto, en train de caresser la main de Nathan, complètement amorphe et attaché par des lanières pour ne pas se mutiler. Cette réalité contrastait si violemment avec ces souvenirs ou Nathan fut si pétillant.
Comme il l’aimait ce garçon, comme il l’aima… songea-t-il, en étranglant un sanglot dans sa gorge. C’était si difficile de rentrer chez eux et retrouver ce lit vide après lui avoir rendu visite à l’hôpital. Ce vaisseau, témoin de tant de moments heureux et coquins. De tant d’amour et de tendresse partagés. Surtout de tendresse, pensa Loïc, en se revoyant l’étreindre toute une soirée sur le canapé, et en appréhendant les jours à venir. Il était loin d’imaginer les surprises que Nathan lui réservait tout comme il était loin de se douter que son dernier manuscrit — Nathan auteur en herbe à ses heures — recelait entre ses lignes autre chose que de la fiction et une relation bien plus assidue qu’il y paraissait à la première lecture. Un amour ayant sans le moindre doute beaucoup compté pour lui.

Il lui en veut, oui. Lui en veut, de ne pouvoir l’aimer comme il le souhaiterait. De ne pas lui laisser plus de place dans sa vie et de fuir à chaque fois qu’un acte ressemble un peu plus à autre chose qu’à du sexe. Que l’émotion les submerge sans crier gare. Il ne se rappelle même plus la dernière fois qu’il l’a embrassé furtivement dans la rue où le jour où il lui a pris la main en regardant la télé sur le sofa. Un vrai frustré.
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