Ce qu’il y a de plus rageant lorsqu’on s’assume et qu’on vit seul, c’est de faire l’objet des attentions les mieux intentionnées de ses proches. Tout à coup, c’est la panique, ne pas nous laisser seul, trouver à tout prix et le plus vite possible un Julon afin de remplir ce terrible vide, comme si les gays n’avaient pas le droit d’être seul.

Lorsque Maman me prévint silencieusement qu’elle avait invité du monde pour le repas du soir, sous-entendu, les fils de copines étant comme moi ? Comme moi, ça veut dire quoi, et sur quels critères nos proches, amis ou collègues peuvent-ils bien juger nos besoins et penser que nous allons nous entendre avec un tel ou un tel sous prétexte que nous partageons les mêmes goûts sexuels.
Rien de plus rageant que de se faire piéger par sa propre mère pour se voir devenir de plus en plus pâle au fur et à mesure que l’on rentre dans la cuisine.
Les voilà, regarde-moi cette brochette d’asticots parlant des dernières crèmes Clarin et des fringues à la mode. Tout ce que j’aime.
Un regard du plus petit orteil à la pointe de ma plus longue mèche, des sourires se dessinent. Ça devrait me rassurer, mais ça m’inquiète. Je ne les aime pas d’entrée. Sans même avoir encore parlé avec eux ni échangé quoi que ce soit. Et dire qu’il faudra faire semblant. Que j’entends ma mère glousser dans le corridor en me laissant dans l’arène, sans se soucier une seule seconde de mon bien-être. Je veux dire, mes vrais besoins. Cinq minutes interminables nous permettent de faire le tour de nos passions communes, c’est dire si on va échanger, et ma dinde de mère qui croit que je kiffe ces merlans frit, que je suis à l’aise avec leurs valeurs, que je m’éclate comme une bête uniquement parce qu’on est gay ! Si ce n’est pas une misère d’être aussi naïve. Aussi crédule. Comme si nos affinités dépendaient de notre sexualité plutôt que de nos personnalités. Comme si un gros sexe était garant de tout, certain que parce que nous aimons la saucisse, on va forcément s’entendre. Tout ceci est un peu réducteur. Pathétique et tellement humiliant lorsqu’on se retrouve au milieu d’un groupe de coqs en rut aux allures de Conchita Wurst, sans vouloir n’offenser personne. Maman n’a donc pas regardé Fabien et sa simplicité, Fabien et sa passion de la montagne, Fabien et son besoin d’être seul, de sa manière d’être et de son désintérêt total pour les fringues griffées.
Qu’elle ne me refasse plus jamais ce coup-là. Plutôt aller dans un bar et boire une bière plutôt que de se voir imposer un essaim de tapettes, en voulant à ma braguette, car en invitant ces affamés à demeure, maman n’a fait qu’aiguiser leur appétit et inciter leurs talents de dragueur afin de me voler la seule vraie chose qui ne me sera jamais volée :
Ma liberté de penser.
Maman, s’il te plaît, non, les gays n’ont pas tous les mêmes intérêts et ce n’est pas parce que nous sommes du même bord, que l’on va forcément faire exploser le champagne. Nos goûts sont aussi subtils et complexes que les hétéros, et nous mettre ensemble dans le bac à sable ne veut pas dire que l’on construira notre château en Espagne.